03. Le changement climatique et l'analyse des données CMIP5


Glacier Chacaltaya (Bolivie) en 1994 (gauche) et son extinction en 2009 (droite). Il avait 22 Has en 1940 (Photo: B.Francou)

Note de cours: Pedro RAU

L'intérêt pour le changement climatique est à son apogée, presque tous les secteurs de la société cherchent des réponses sur le comportement du climat à court terme (e.g. jusqu'en 2040), à moyen terme (de 2040 à 2070) et à long terme (de 2070 à 2100). Aussi, les rapports du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), le groupe scientifique et technique officiel pour l'étude de ce sujet depuis 1988, en sont à son sixième rapport ou AR6 (Sixième rapport d'évaluation) basé  sur le CMIP6 (Coupled Model Intercomparison Project Phase 6, Projet d'intercomparaison de modèles climatiques couplés Phase 6, de l'année 2023) regroupant une série de modèles avancés d'interaction Océan-Atmosphère appelés GCM (General Circulation Models, Modeles de Circulation Generale). Actuellement, la mise en œuvre du précédent rapport AR5 et des modèles CMIP5 (GIEC, 2013) a été satisfaisante dans de nombreux pays et les travaux se poursuivront avec ces modèles jusqu'à ce que l'AR6 soit adopté par les décideurs au fil des années.

Cependant, la fiabilité de ces GCM varie selon les différentes régions du monde, notamment pour les variables d'intérêt hydrologique telles que la pluie ou les temperatures. Pour la température, on pourrait dire qu'elle est plus fiable, par exemple le « réchauffement climatique » est passé d'un problème régional à un problème mondial avec l'évolution de ces modèles et des rapports du GIEC. Dans les Andes, depuis quelques décennies, les résultats théoriques de ces modèles convergent avec les observations de terrain, alertant d'un « réchauffement régional », provoquant le retrait des glaciers (Fraser, 2012). Dans le rapport AR5, nous travaillons avec des scénarios de trajectoires de concentration (et non d'émissions) de gaz à effet de serre (gaz à effet de serre) ou RCP (Representative Concentration Pathways) allant de 2,6 à 8,5 W/m2 (en unités de forçage radiatif). En termes simples, ces scénarios de changement climatique indiquent l'évolution des « concentrations » de ces gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone (CO2) jusqu'en 2100. Atteindre une diminution significative après l'année 2020 (dans un scénario optimiste RCP 2.6) ou continuer augmenter tout au long du 21ème siècle (dans un scénario pessimiste RCP 8.5).

À titre d'exemple de cette incertitude, la Figure 1 montre l'évolution des précipitations mondiales sur une longue période jusqu'en 2100. Des pays comme le Pérou sont malheureusement situés dans des zones de forte incertitude. Le versant Pacifique ne présente rien de clair et les versants amazoniens et du lac Titicaca présentent certaines zones avec moins de changements de précipitations, sans être significatifs (sans consensus entre les GCM évalués).

Figure 1. Projections de l'évolution des précipitations moyennes (en %) prenant comme référence la période 1986-2005 pour un scénario RCP 2.6 (à gauche) et RCP 8.5 (à droite). Les zones en pointillés représentent les régions avec un changement significatif plus important (avec un consensus de 90% des modèles évalués, nombre indiqué en haut à droite). Les zones ombrées représentent les régions avec moins de changements sans toutefois être significatives. Source Rapport de synthèse AR5.

Plus précisément, ces GCM CMIP5 et leurs séries chronologiques associées sont disponibles gratuitement (téléchargeables sur https://esgf-node.llnl.gov/search/cmip5/ un compte utilisateur doit être créé) et leur interprétation n'est pas simplement statistique. L'AR5 recommande son utilisation strictement dans le domaine scientifique.

Cet exemple montre la série de précipitations à court terme du modèle anglais HadGEM2-ES pour le scénario quasi-optimiste RCP 4.5, correspondant à la grille qui inclut une partie du bassin supérieur du fleuve Rímac. Cet exercice est possible avec une routine en langage R décrite à la fin.

Figure 2. Grille HadGEM2-ES en gris et le basin versant du Rimac en cyan.

Figure 3. Serie des précipitations mensuelles à  court terme  pour la grille extrait.

Il semble évident qu'il est possible de faire une comparaison entre les séries historiques in situ (voir triangles verts sur la Figure 2) et les valeurs extraites pour la grille ou encore d'analyser d'autres GCM. Cependant, on sait que les GCM sont des modèles mathématiques et physiques très complexes qui représentent mieux les phénomènes à grande échelle. La comparaison avec les séries in situ est uniquement à des fins exploratoires et il est recommandé de comparer les changements dans le temps (Delta P et Delta T en pourcentages, ainsi que certaines tendances de la série), en parvenant à capturer le changement saisonnier de la séries comme moyen de validation.

Cette comparaison est aussi appelée réduction d'échelle ou « downscaling », en l'occurrence de type spatial. Autrement dit, pour réduire la grande extension d'une grille GCM (par exemple, sur la Figure 2, ces grilles grises ont une extension approximative de 125 km x 188 km) dans une extension équivalente à l'influence de la station ponctuelle correspondante. Bien qu'il existe de nombreuses méthodes pour cette procédure, les équations simples suivantes sont présentées pour une « réduction d'échelle » statistique (Bierkens et al, 2008) et ainsi obtenir de manière préliminaire les données d'entrée pour un modèle hydrologique.

Equation 1. Réduction d’échelle GCM-observations simple pour les températures.

Où:

Tes(t) : série chronologique de températures pour le scénario de changement climatique.

Tobs.ref(t) : est la série chronologique de température observée dans une période de référence.

TGCM.es : valeur de température moyenne pour le scénario de changement climatique estimée avec le GCM

TGCM.ref : valeur moyenne de température sur la période de référence estimée avec le GCM.

 
Equation 2. Réduction d’échelle GCM-observations simple pour les précipitations.

Où:

Pes(t) : série chronologique des précipitations pour le scénario de changement climatique.

Pobs.ref(t) : est la série chronologique des précipitations observées dans une période de référence.

PGCM.es : valeur moyenne des précipitations pour le scénario de changement climatique estimée avec le GCM

PGCM.ref : valeur moyenne des précipitations sur la période de référence estimée avec le GCM.

D'autre part, il existe des projets régionaux appelés RCM (Regional Climate Models) qui effectuent le processus de réduction d'échelle physique pour les continents, en utilisant les GCM comme conditions aux limites (par exemple RegCM4, PRECIS, CORDEX), qui offrent des maillages avec une meilleure résolution, tout en conservant l'incertitude provenant des GCM et des paramètres d'ajustement régionaux, sans parler des aspects du supercalcul requis. Cependant, ils seraient mieux adaptés aux conditions régionales (par exemple l’effet des grandes barrières montagneuses). D'autres sources intègrent encore plus d'incertitude comme WorldClim ou BCSD en raison de l'utilisation de produits de réanalyse mais avec des objectifs clairs comme écologiques ou hydrologiques respectivement, qui pourraient bien répondre aux attentes de résolution et à une meilleure comparaison avec les données in situ. Jusqu'à présent, la représentation de processus locaux tels que la topographie ou le changement d'affectation des terres reste un défi, pour lequel un calcul informatique intense est nécessaire pour travailler avec des domaines et des couches en réduction d'échelle dynamique (par exemple, utilisation du modèle WRF).

Si nous parlons de l’incertitude des précipitations au Pérou, imaginez l’incertitude des projections de ruissellement et de débit grâce à la modélisation hydrologique. Il y aurait une douzaine d’incertitudes qui s’accumuleraient, difficiles à interpréter pour l’instant. Tout comme la photo initiale montrant la disparition du glacier Chacaltaya en Bolivie, il existe de nombreuses études dans les Andes qui alertent sur l'impact du changement climatique et spécifiquement sur la sécurité de l'eau (Goyburo et al, 2023) et il est courant de trouver l'année 2050. comme une référence charnière où ce problème s’accentue. Cela rend le sujet du changement climatique encore plus intéressant et j'espère que cela pourra également vous motiver en l'abordant depuis le contexte hydrologique de vos régions.

Je partage ensuite un code simple en langage R pour l'extraction de la série de précipitations à partir d'un format NetCDF (*.nc) pour obtenir la figure 3. Installez au préalable les packages raster et ncdf4 dans Rstudio.

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# Obtention d'une variable du CMIP5 (d'un fichier .nc)
library(raster)

# Fonction brick pour lire le fichier nc, Ex: pr:precipitacion
b <- brick(".../ccmodels/hadgem2-es/pr_Amon_HadGEM2-ES_rcp45_r1i1p1_200512-203011.nc", varname = "pr")

# Attibution d’indices
idx <- getZ(b)

# Indique les coordonnes pour extraire les valeurs et une conversion à  mm/mois
coords <- matrix(c(283.6, -11.8), ncol = 2) # 283.6 est la longitude et -11.8 est la latitude
vals <- extract(b, coords, df=T)*86400*30

# Fixer les dates et données dans un dataframe
df <- data.frame(idx, t(vals)[-1,])
rownames(df) <- NULL
names(df) <- c('date','value')

# Visualiser les champs 
head(df)

# Plot la serie
plot(df, type="l", xlab="Años",  ylab="P (mm/mes)")

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Réf:

-Bierkens MFP, Dolman AJ, Troch PA. 2008. Climate and the hydrological cycle. IAHS Publ 8.

-Fraser B. 2012. Melting in the Andes: Goodbye glaciers. Nature 491,180–182.

-Goyburo A, Rau P, Lavado-Casimiro W, et al. 2023. Assessment of present and future water security under anthropogenic and climate changes using WEAP model in the Vilcanota-Urubamba catchment, Cusco, Peru. Water. 15(7),1439.

-IPCC. Panel Intergubernamental sobre Cambio Climático. 2013. Cambio Climático 2013: Bases físicas. Resumen para responsables de políticas.